Depuis plusieurs années, j’ai le sentiment de ne pas correspondre à ce que la société attend de moi. Ce décalage m’est apparu encore plus nettement un jour où, après avoir simplement dit que j’étais fatiguée — une fatigue ponctuelle, banale — on m’a répondu : « Ah, tu as des enfants ». Comme si, à mon âge, c’était forcément la maternité qui pouvait expliquer un coup de fatigue.
J’ai 37 ans. Je vis avec mon compagnon depuis plusieurs années, mais nous ne sommes pas mariés. Nous avons pris notre temps avant d’habiter ensemble, et nous partageons les tâches domestiques. Nous ne voulons pas d’enfants. J’ai choisi d’être artiste, un métier qui n’est d’ailleurs même pas un métier pour certains. Je n’ai jamais appris à conduire. J’ai longtemps montré mes cheveux blancs. Je parle facilement de ma santé mentale et des moments difficiles que j’ai pu vivre. J’ai très peu d’amis. Autant de détails qui, mis ensemble, peuvent faire de moi une personne "hors cadre".
C’est justement cette idée de normalité qui m’interroge : à quoi est censée ressembler une femme de mon âge ? Quels choix de vie sont considérés comme acceptables ? Quels récits, visibles ou suggérés — parfois en une de magazine, parfois dans une remarque dite sans y penser — continuent à tracer les contours de ce qu'on attend de nous ?
Mon propos n’est pas uniquement féministe — les hommes aussi peuvent dévier des standards — mais il me semble qu’on leur en fait moins souvent la remarque.
Mon propos n’est pas uniquement féministe — les hommes aussi peuvent dévier des standards — mais il me semble qu’on leur en fait moins souvent la remarque.
Pour interroger ces attentes, j’ai choisi de créer une fausse vie à Athis-de-l’Orne. Une existence fictive, construite à travers des mises en scène photographiques. J’y invente des collègues, des amies, un mari, des enfants, des scènes du quotidien qui n’ont jamais eu lieu, mais qui pourraient, aux yeux de la société, me rendre plus "conforme". Je tiens d’ailleurs à remercier profondément toutes les personnes qui ont accepté de jouer un rôle dans cette fiction, de prêter leur présence à ce projet. Rien de tout cela n’aurait été possible sans eux.
À travers ces photographies mises en scène, je montre celle que je ne suis pas, mais que je devrais être. Je questionne les normes qui continuent à structurer nos vies, souvent de manière silencieuse. Ce travail s’inspire de mon vécu, de mes observations, et de figures artistiques et littéraires comme Cindy Sherman, Virginia Woolf et Mona Chollet.











