Le Journal est une série photographique composée de 500 autoportraits, produite de mars 2013 à septembre 2014. Chaque image dévoile une action que je réalisais au quotidien, comme me maquiller, attendre le train ou étudier, par exemple. Ce sont des gestes et des moments que je vivais réellement et que je reconstituais pour la prise de vue. Le spectateur observe ainsi une fictionnalisation de mon quotidien et une intimité sélectionnée, composée et faussée. Un journal intime est généralement défini comme un recueil de confidences rédigé en secret.
Ces confidences peuvent renvoyer aussi bien à des moments d’angoisse qu’à des instants de joie. Or, malgré son titre, mon Journal détourne les codes du journal intime. Ce projet ne révèle jamais les bons ni les mauvais moments que j’ai pu vivre durant cette période. En mai 2013, j’ai eu l’opportunité de découvrir la ville de Budapest ; en juillet 2013, mon grand-père est décédé ; et en janvier 2014, j’ai été agressée. Pourtant, aucune image n’évoque l’un de ces événements ou ses conséquences. Au fil du projet, je me suis créé un avatar, et chaque photographie marque une frontière entre ce que je montre et ce que je vivais réellement. J’ai eu envie que ce projet soit vu, et c’est ce qui explique cette mise à distance. Contrairement à un journal intime qui, par essence, doit rester privé, ce travail s’est construit en fonction d’un regard extérieur.
L’appareil photographique devenait une sorte de témoin : je savais que j’étais photographiée, et j’agissais, je posais en fonction de ce regard mécanique. De ce fait, je n’apparaissais jamais naturelle. D’ailleurs, la création d’un double et d’une vie faussement transparente, observée par de potentiels spectateurs, fait indubitablement écho à la mode des selfies.
En répétant les mêmes gestes et en utilisant les mêmes réglages, j’ai dû sans cesse chercher de nouveaux angles, de nouvelles manières de composer mes images. Même après 500 photos, j’ai l’impression qu’à peine une vingtaine sortent vraiment du lot — ce qui montre à quel point il est difficile de créer quelque chose de nouveau chaque jour. Cela reflète aussi la monotonie de ma vie à ce moment-là. Fait intéressant, j’ai rarement montré mon visage de façon nette. Avec le recul, j’ai même l’impression que ces photos pourraient représenter n’importe quelle femme de mon âge.
Le Journal a été influencé par les autofictions de Fernando Pessoa (Le livre de l’intranquillité, 1982) et de Sylvia Plath (La cloche de détresse, 1963).
© Pauline Le Pichon / Adagp















